Nouvelles
26.05.2019
Wagner et l’Or du Rhône - Du 5 au 7 avril 2019, Lyon
Photos:
© Pascal Bouteldja Les présidents des Cercles au dîner de gala Annie Benoit (Paris), Pascal Bouteldja (Lyon), Michèle Bessout (Nice), André Demarck (Marseille) Michel Casse (Bordeaux)
© Annie Benoit Les wagnériens français en force dans la cité rhodanienne Wagner et l’Or du Rhône
© Pascal Bouteldja Trois artistes de premier plan pour des « adieux » émouvants Pierre-Yves Pruvot (baryton) Cécile de Boever (soprano) Nobuyoshi Shima (piano)
En tous cas, compléter les habituels rassemblements dont nous donnent l’occasion les congrès annuels par une rencontre centrée sur la francophonie, telle fut la riche idée qui gouverna à l’organisation des ces journées lyonnaises. De francophones, elles devinrent plutôt françaises, le Cercle de Bruxelles n’ayant été en mesure de se joindre à nous. Ainsi, les Wagnériens, venus de Nice, Marseille, Bordeaux, Lyon, bien sûr, et de Paris en bon nombre, se retrouvèrent pour un programme qui n’incluait certes pas d’opéra de Wagner, l’Opéra de Lyon n’en proposant pas cette saison ; mais, qu’à cela ne tienne, ce manque sera largement compensé par l’immense fierté d’assister à rien moins qu’une création française (et quasi-mondiale) d’une « nouvelle » oeuvre de Wagner !
Vendredi : Opéra et opéra-comique
C’est sous un soleil radieux que nous sommes accueillis dans la cité rhodanienne, pour une visite des coulisses, dessous et recoins de l’Opéra Jean Nouvel. Notre guide, qui se dit wagnérien lui-même, saura mettre en relief les idées et concepts qu’a mis en œuvre l’architecte français dans son travail de rénovation/reconstruction réalisé à la fin des années 80. Pour lui également, les notions wagnériennes d’œuvre d’art totale et de mise en condition du spectateur ne furent pas étrangères à ses orientations esthétiques, expliquant le choix du noir dominant afin de ne pas détourner l’attention de l’auditeur, la « coque » de salle s’apparentant à celle d’un bateau (fantôme ?) nous emmenant en voyage, les sas d’accès rouges capitonnés assurant une meilleure transition entre le monde réel et celui de l’illusion artistique, jusqu’aux structures métalliques et trouées des coursives branlantes et vertigineuses mettant le public en sentiment d’insécurité avant de pénétrer l’aire sensorielle. Sur le plan technique, le nouvel opéra possède aussi une scène de répétition en sous-sol, aux mêmes dimensions que la scène de salle, où l’on peut faire parvenir les décors par un gigantesque monte-charges. Dans les entrailles se trouve un petit auditorium en amphithéâtre, où l’on donne quelques concerts en formation resserrée. Et, tout en haut du bâtiment cette fois, une piste de travail pour le ballet domine les toits de Lyon, sous le demi-cylindre emblème de l’édifice.
Après la visite du lieu, place à l’œuvre et au maître, mais à une part méconnue, balbutiante de ses premiers pas de compositeur. Nous nous retrouvons ainsi dans la salle Debussy du conservatoire de Lyon, accroché aux pentes de Fourvière, pour une conférence que Cyril Plante, membre éminent du Cercle de Lyon, s’est vu devoir préparer en un temps record, le conférencier programmé, Yaël Hêche, ayant été empêché pour raisons médicales. Il s’en est parfaitement bien tiré, agrémentant son exposé d’illustrations musicales sous ses doigts au piano. Il nous fut ainsi donné de réaliser combien le chemin menant vers Parsifal ne fut pas une trace rectiligne et sûre, mais bien plutôt une avancée difficile, parsemée d’hésitations, d’essais, de retours, de recherches, voire de balbutiements, à ses premières heures. Car le sujet de cette causerie aurait pu en surprendre plus d’un : il s’agissait effectivement d’évoquer l’art de l’opéra-comique selon Wagner ! L’on nous annonçait, en effet, pour le lendemain, la fameuse création de L’Heureuse famille des Ours, découverte récemment au sein d’une bibliothèque privée, et qui allait ainsi être révélée au public français, grâce à l’initiative du Cercle de Lyon, et de son président, Pascal Bouteldja. Bref, nous reviendrons sur cet épisode. Pour le moment, il s’agit de comprendre comment Wagner, sous l’influence et le rejet tout à la fois de quelque Rossini, Auber, Adam et autre Hérold, s’est lancé dans l’aventure de l’opéra-comique, concrétisée par La défense d'aimer en 1834, mais sur le point d’être poursuivie, dans la foulée, par cette Heureuse famille des Ours, d’ailleurs aussi élégamment nommée « Les hommes sont plus rusés que les femmes », dont témoignent ces quelques esquisses retrouvées. Wagner était alors à Riga, et s’est assez vite détourné de ce projet, au jour où il a ressenti l’affreuse impression d’être en train de composer du Auber ! Il s’est alors « débarrassé » de ces quelques pages, qui furent donc perdues jusqu’à aujourd’hui ; et s’est empressé de reporter toute son énergie vers le Rienzi qui allait voir le jour en 1842. Il n’en reste pas moins que l’ouvrage a tout de même vu son livret achevé, et même publié dans l’édition complète posthume des œuvres de Wagner en 1911. Notre conférencier s’attache à nous en mettre en évidence tous les traits musicaux typiques de l’opéra-comique, que le jeune Richard a parfaitement su s’approprier de ses références de l’époque, qu’il a pourtant rapidement considérées, par la suite, d’un mauvais œil, même s’il est dit qu’il fredonnait encore, à la fin de sa vie, quelques airs du Zampa de Ferdinand Hérold, auquel il semble donc être resté attaché jusqu’au bout.
Cette première journée s’achève autour d’un repas pris en commun, nous donnant l’occasion de passionnants échanges entre Wagnériens venus des quatre coins de France.
Samedi : Wagnérisme à la française
Dès le lendemain matin, c’est dans les salons du Sofitel que nous assistons à une remarquable conférence de Georges Liébert, consacrée à la réception de l’œuvre de Wagner dans les milieux artistiques français, d’où il est ressorti que ce que l’on va bientôt appeler le « wagnérisme » est bien une spécificité française. Les Allemands sont mélomanes ou passionnés d’art lyrique ; les Français peuvent être « wagnériens ». Le conférencier nous relate comment les intellectuels de notre pays se sont rapidement intéressé au phénomène, ont pris des positions souvent tranchées, pour ou contre la musique de l’avenir, ont développé des relations amicales ou intimes avec le maître, et ont, en tous cas, alimenté la chronique certainement bien plus que cela ne se passait outre-Rhin. Certains enjeux politiques n’en étaient d’ailleurs pas absents, notamment lors de la fameuse cabale contre le Tannhäuser de Paris, en 1861, ou après la guère de 1870, lorsqu’il a fallu tourner le dos à tout ce qui venait d’Allemagne.
Après cet exposé, déjà fort copieux, ce sont nos estomacs qui vont se voir soumis à un rude challenge, avec le mâchon lyonnais pantagruélique qui nous attend, histoire de profiter pleinement de l’une des richesses reconnues de la cité, la gastronomie à la lyonnaise, véritable « or du Rhône ». Nous nous retrouvons tout en haut du Sofitel, dans une salle panoramique dominant tous les environs. Mais nos regards, ébahis par ce magnifique paysage, se porteront vite sur les alléchantes splendeurs disposées sur les quatre buffets : d’entrées, de plats chauds, de fromages et de desserts. Salade lyonnaise, pieds de cochon, saucisson chaud, saint-marcellin, cervelle de canuts, îles flottantes et autres douceurs, le tout arrosé du traditionnel beaujolais, nous feront goûter un délicieux moment de convivialité.
Le soleil de la veille nous a lâchés, en ce samedi, et c’est sous un vent glacial et un crachin à la bretonne que nous nous rendons dans la grande salle de la Bourse du Travail, pour le fameux concert symphonique, tête d’affiche de ces journées lyonnaise. Les orchestres des élèves des conservatoires de Lyon et Clermont-Ferrand se sont unis pour nous offrir, outre cette création wagnérienne tant attendue, un programme assez éclectique, allant du triple concerto de Beethoven à La Moldau, en passant par Les Hébrides de Mendelssohn. Deux œuvres de Wagner, donc, mais d’un « autre » que celui qu’on connaît ; d’un Wagner jeune et n’ayant pas encore établi son style et son génie. Ces pièces nous font bien percevoir l’ampleur de l’évolution entre ces jeunes années et celles de la maturité. Il faut avoir l’oreille bien exercée pour y déceler la plume du maître. Les Wagnériens les plus engagés connaissent sans doute l’ouverture pour Roi Enzio, composée en 1832. Mais seuls ceux présents, ce jour, dans la salle, pourront se targuer d’avoir auditionné L’Heureuse famille des Ours ! Alors, est-ce bien du Wagner ? Oui, les partitions retrouvées ont bien été certifiées. Mais il a fallu tout de même qu’un compositeur anglais, James Francis Brown, s’emploie à les ressusciter en les arrangeant et les orchestrant à la manière de Wagner. Opération réussie, et pleine d’effets lorsque, après quelques mesures, le chœur, invisible jusque-là, surgit des fauteuils de la salle pour entonner un air plein d’entrain et de frénésie, que l’on aurait tout aussi bien pu savoir issu de quelque page de Rossini.
Honnêtement, nous nous sentions déjà bien rassasiés, après toutes ces émotions. Et pourtant, le menu du jour n’était pas encore arrivé à son terme. L’œuvre d’art totale devait inclure l’art culinaire, avec le chef étoilé Christian Lherm, qui nous a préparé le plus somptueux des soupers gastronomiques, parachevant cette journée riche de savoir et de plaisir des sens.
Dimanche : Les adieux
Le dimanche matin, nous découvrons une ville en pleine effervescence : c’est le jour de l’Urban trail de Lyon. Nous sommes entourés de sportifs en tenues fluo, prêts à gravir les collines lyonnaises à des allures quelque peu déraisonnables. Nous va-t-il falloir répondre à leur soif de performances par notre appétit de connaissances ? En effet, on nous a donné rendez-vous au point de départ précis de cette épreuve, devant la cathédrale Saint-Jean, non point pour courir après des records, mais à la recherche des mystères et étrangetés dont regorge, paraît-il, l’histoire séculaire de cette ville. L’on nous explique qu’elle se trouverait au point de rencontre de lignes de forces et d’énergies occultes qui y auraient fait converger, de tous temps, nombre de personnages curieux, porteurs de pouvoirs surnaturels ou de savoirs cachés, très prisés des populations autant que des monarques, pour leurs aptitudes à orienter leur destin vers de meilleurs augures, mais très suspects aussi des autorités religieuses, inquiètes de l’extraordinaire fascination qu’ils exerçaient sur leur auditoire. À travers les ruelles du vieux Lyon, l’on nous dévoile quelques signes cabalistiques, gravés sur une porte ou ornant une façade, révélant la présence ancienne d’alchimistes ou de francs-maçons, dont la mémoire reste fermement ancrée dans l’âme des Lyonnais.
Après un dernier déjeuner pris en commun, notre séjour va se refermer avec un récital Wagner, dans la salle du conservatoire que nous avons déjà occupée le premier jour. La soprano Cécile de Boever et le baryton Pierre-Yves Pruvot, anciens élèves de ce conservatoire, mais armés déjà d’une solide expérience wagnérienne, nous offrent un magnifique programme d’airs wagnériens, en solos et en duos, accompagnés du pianiste Nobuyoshi Shima. Leurs voix puissantes et généreuses nous comblent de bonheur, jusqu’au final plein d’émotion de ce concert : l’intégralité de la dernière scène de La Walkyrie, entre Brünnhilde et Wotan, en guise d’adieux et de clôture de ces merveilleuses journées lyonnaises. Une ovation accueille nos jeunes artistes, à laquelle nous associons immédiatement Pascal Bouteldja, grand ordonnateur de cet Or du Rhône, dont nous garderons de magnifiques souvenirs.
Henri Lamoise
Cercle Wagner de Paris
© Pascal Bouteldja Les présidents des Cercles au dîner de gala Annie Benoit (Paris), Pascal Bouteldja (Lyon), Michèle Bessout (Nice), André Demarck (Marseille) Michel Casse (Bordeaux)
© Annie Benoit Les wagnériens français en force dans la cité rhodanienne Wagner et l’Or du Rhône
© Pascal Bouteldja Trois artistes de premier plan pour des « adieux » émouvants Pierre-Yves Pruvot (baryton) Cécile de Boever (soprano) Nobuyoshi Shima (piano)
En tous cas, compléter les habituels rassemblements dont nous donnent l’occasion les congrès annuels par une rencontre centrée sur la francophonie, telle fut la riche idée qui gouverna à l’organisation des ces journées lyonnaises. De francophones, elles devinrent plutôt françaises, le Cercle de Bruxelles n’ayant été en mesure de se joindre à nous. Ainsi, les Wagnériens, venus de Nice, Marseille, Bordeaux, Lyon, bien sûr, et de Paris en bon nombre, se retrouvèrent pour un programme qui n’incluait certes pas d’opéra de Wagner, l’Opéra de Lyon n’en proposant pas cette saison ; mais, qu’à cela ne tienne, ce manque sera largement compensé par l’immense fierté d’assister à rien moins qu’une création française (et quasi-mondiale) d’une « nouvelle » oeuvre de Wagner !
Vendredi : Opéra et opéra-comique
C’est sous un soleil radieux que nous sommes accueillis dans la cité rhodanienne, pour une visite des coulisses, dessous et recoins de l’Opéra Jean Nouvel. Notre guide, qui se dit wagnérien lui-même, saura mettre en relief les idées et concepts qu’a mis en œuvre l’architecte français dans son travail de rénovation/reconstruction réalisé à la fin des années 80. Pour lui également, les notions wagnériennes d’œuvre d’art totale et de mise en condition du spectateur ne furent pas étrangères à ses orientations esthétiques, expliquant le choix du noir dominant afin de ne pas détourner l’attention de l’auditeur, la « coque » de salle s’apparentant à celle d’un bateau (fantôme ?) nous emmenant en voyage, les sas d’accès rouges capitonnés assurant une meilleure transition entre le monde réel et celui de l’illusion artistique, jusqu’aux structures métalliques et trouées des coursives branlantes et vertigineuses mettant le public en sentiment d’insécurité avant de pénétrer l’aire sensorielle. Sur le plan technique, le nouvel opéra possède aussi une scène de répétition en sous-sol, aux mêmes dimensions que la scène de salle, où l’on peut faire parvenir les décors par un gigantesque monte-charges. Dans les entrailles se trouve un petit auditorium en amphithéâtre, où l’on donne quelques concerts en formation resserrée. Et, tout en haut du bâtiment cette fois, une piste de travail pour le ballet domine les toits de Lyon, sous le demi-cylindre emblème de l’édifice.
Après la visite du lieu, place à l’œuvre et au maître, mais à une part méconnue, balbutiante de ses premiers pas de compositeur. Nous nous retrouvons ainsi dans la salle Debussy du conservatoire de Lyon, accroché aux pentes de Fourvière, pour une conférence que Cyril Plante, membre éminent du Cercle de Lyon, s’est vu devoir préparer en un temps record, le conférencier programmé, Yaël Hêche, ayant été empêché pour raisons médicales. Il s’en est parfaitement bien tiré, agrémentant son exposé d’illustrations musicales sous ses doigts au piano. Il nous fut ainsi donné de réaliser combien le chemin menant vers Parsifal ne fut pas une trace rectiligne et sûre, mais bien plutôt une avancée difficile, parsemée d’hésitations, d’essais, de retours, de recherches, voire de balbutiements, à ses premières heures. Car le sujet de cette causerie aurait pu en surprendre plus d’un : il s’agissait effectivement d’évoquer l’art de l’opéra-comique selon Wagner ! L’on nous annonçait, en effet, pour le lendemain, la fameuse création de L’Heureuse famille des Ours, découverte récemment au sein d’une bibliothèque privée, et qui allait ainsi être révélée au public français, grâce à l’initiative du Cercle de Lyon, et de son président, Pascal Bouteldja. Bref, nous reviendrons sur cet épisode. Pour le moment, il s’agit de comprendre comment Wagner, sous l’influence et le rejet tout à la fois de quelque Rossini, Auber, Adam et autre Hérold, s’est lancé dans l’aventure de l’opéra-comique, concrétisée par La défense d'aimer en 1834, mais sur le point d’être poursuivie, dans la foulée, par cette Heureuse famille des Ours, d’ailleurs aussi élégamment nommée « Les hommes sont plus rusés que les femmes », dont témoignent ces quelques esquisses retrouvées. Wagner était alors à Riga, et s’est assez vite détourné de ce projet, au jour où il a ressenti l’affreuse impression d’être en train de composer du Auber ! Il s’est alors « débarrassé » de ces quelques pages, qui furent donc perdues jusqu’à aujourd’hui ; et s’est empressé de reporter toute son énergie vers le Rienzi qui allait voir le jour en 1842. Il n’en reste pas moins que l’ouvrage a tout de même vu son livret achevé, et même publié dans l’édition complète posthume des œuvres de Wagner en 1911. Notre conférencier s’attache à nous en mettre en évidence tous les traits musicaux typiques de l’opéra-comique, que le jeune Richard a parfaitement su s’approprier de ses références de l’époque, qu’il a pourtant rapidement considérées, par la suite, d’un mauvais œil, même s’il est dit qu’il fredonnait encore, à la fin de sa vie, quelques airs du Zampa de Ferdinand Hérold, auquel il semble donc être resté attaché jusqu’au bout.
Cette première journée s’achève autour d’un repas pris en commun, nous donnant l’occasion de passionnants échanges entre Wagnériens venus des quatre coins de France.
Samedi : Wagnérisme à la française
Dès le lendemain matin, c’est dans les salons du Sofitel que nous assistons à une remarquable conférence de Georges Liébert, consacrée à la réception de l’œuvre de Wagner dans les milieux artistiques français, d’où il est ressorti que ce que l’on va bientôt appeler le « wagnérisme » est bien une spécificité française. Les Allemands sont mélomanes ou passionnés d’art lyrique ; les Français peuvent être « wagnériens ». Le conférencier nous relate comment les intellectuels de notre pays se sont rapidement intéressé au phénomène, ont pris des positions souvent tranchées, pour ou contre la musique de l’avenir, ont développé des relations amicales ou intimes avec le maître, et ont, en tous cas, alimenté la chronique certainement bien plus que cela ne se passait outre-Rhin. Certains enjeux politiques n’en étaient d’ailleurs pas absents, notamment lors de la fameuse cabale contre le Tannhäuser de Paris, en 1861, ou après la guère de 1870, lorsqu’il a fallu tourner le dos à tout ce qui venait d’Allemagne.
Après cet exposé, déjà fort copieux, ce sont nos estomacs qui vont se voir soumis à un rude challenge, avec le mâchon lyonnais pantagruélique qui nous attend, histoire de profiter pleinement de l’une des richesses reconnues de la cité, la gastronomie à la lyonnaise, véritable « or du Rhône ». Nous nous retrouvons tout en haut du Sofitel, dans une salle panoramique dominant tous les environs. Mais nos regards, ébahis par ce magnifique paysage, se porteront vite sur les alléchantes splendeurs disposées sur les quatre buffets : d’entrées, de plats chauds, de fromages et de desserts. Salade lyonnaise, pieds de cochon, saucisson chaud, saint-marcellin, cervelle de canuts, îles flottantes et autres douceurs, le tout arrosé du traditionnel beaujolais, nous feront goûter un délicieux moment de convivialité.
Le soleil de la veille nous a lâchés, en ce samedi, et c’est sous un vent glacial et un crachin à la bretonne que nous nous rendons dans la grande salle de la Bourse du Travail, pour le fameux concert symphonique, tête d’affiche de ces journées lyonnaise. Les orchestres des élèves des conservatoires de Lyon et Clermont-Ferrand se sont unis pour nous offrir, outre cette création wagnérienne tant attendue, un programme assez éclectique, allant du triple concerto de Beethoven à La Moldau, en passant par Les Hébrides de Mendelssohn. Deux œuvres de Wagner, donc, mais d’un « autre » que celui qu’on connaît ; d’un Wagner jeune et n’ayant pas encore établi son style et son génie. Ces pièces nous font bien percevoir l’ampleur de l’évolution entre ces jeunes années et celles de la maturité. Il faut avoir l’oreille bien exercée pour y déceler la plume du maître. Les Wagnériens les plus engagés connaissent sans doute l’ouverture pour Roi Enzio, composée en 1832. Mais seuls ceux présents, ce jour, dans la salle, pourront se targuer d’avoir auditionné L’Heureuse famille des Ours ! Alors, est-ce bien du Wagner ? Oui, les partitions retrouvées ont bien été certifiées. Mais il a fallu tout de même qu’un compositeur anglais, James Francis Brown, s’emploie à les ressusciter en les arrangeant et les orchestrant à la manière de Wagner. Opération réussie, et pleine d’effets lorsque, après quelques mesures, le chœur, invisible jusque-là, surgit des fauteuils de la salle pour entonner un air plein d’entrain et de frénésie, que l’on aurait tout aussi bien pu savoir issu de quelque page de Rossini.
Honnêtement, nous nous sentions déjà bien rassasiés, après toutes ces émotions. Et pourtant, le menu du jour n’était pas encore arrivé à son terme. L’œuvre d’art totale devait inclure l’art culinaire, avec le chef étoilé Christian Lherm, qui nous a préparé le plus somptueux des soupers gastronomiques, parachevant cette journée riche de savoir et de plaisir des sens.
Dimanche : Les adieux
Le dimanche matin, nous découvrons une ville en pleine effervescence : c’est le jour de l’Urban trail de Lyon. Nous sommes entourés de sportifs en tenues fluo, prêts à gravir les collines lyonnaises à des allures quelque peu déraisonnables. Nous va-t-il falloir répondre à leur soif de performances par notre appétit de connaissances ? En effet, on nous a donné rendez-vous au point de départ précis de cette épreuve, devant la cathédrale Saint-Jean, non point pour courir après des records, mais à la recherche des mystères et étrangetés dont regorge, paraît-il, l’histoire séculaire de cette ville. L’on nous explique qu’elle se trouverait au point de rencontre de lignes de forces et d’énergies occultes qui y auraient fait converger, de tous temps, nombre de personnages curieux, porteurs de pouvoirs surnaturels ou de savoirs cachés, très prisés des populations autant que des monarques, pour leurs aptitudes à orienter leur destin vers de meilleurs augures, mais très suspects aussi des autorités religieuses, inquiètes de l’extraordinaire fascination qu’ils exerçaient sur leur auditoire. À travers les ruelles du vieux Lyon, l’on nous dévoile quelques signes cabalistiques, gravés sur une porte ou ornant une façade, révélant la présence ancienne d’alchimistes ou de francs-maçons, dont la mémoire reste fermement ancrée dans l’âme des Lyonnais.
Après un dernier déjeuner pris en commun, notre séjour va se refermer avec un récital Wagner, dans la salle du conservatoire que nous avons déjà occupée le premier jour. La soprano Cécile de Boever et le baryton Pierre-Yves Pruvot, anciens élèves de ce conservatoire, mais armés déjà d’une solide expérience wagnérienne, nous offrent un magnifique programme d’airs wagnériens, en solos et en duos, accompagnés du pianiste Nobuyoshi Shima. Leurs voix puissantes et généreuses nous comblent de bonheur, jusqu’au final plein d’émotion de ce concert : l’intégralité de la dernière scène de La Walkyrie, entre Brünnhilde et Wotan, en guise d’adieux et de clôture de ces merveilleuses journées lyonnaises. Une ovation accueille nos jeunes artistes, à laquelle nous associons immédiatement Pascal Bouteldja, grand ordonnateur de cet Or du Rhône, dont nous garderons de magnifiques souvenirs.
Henri Lamoise
Cercle Wagner de Paris